Un homme sur trois a un salaire inférieur à celui de sa femme. Et ce n’est plus un problème, affirment-ils. Voire
Au resto, le scénario ne rate jamais. Que ce soit Marc ou Bénédicte qui demande d’addition, c’est toujours à monsieur que le serveur tend la note. Pourtant c’est madame qui dégaine la carte de crédit. Et pour cause: Bénédicte gagne cinq fois plus que sa moitié. Une exception qui semble faire des envieux. Selon un sondage Ifop-Egg, 1 homme sur 3 et 1 cadre sur 2 disent rêver de dépendre financièrement de leur compagne. L’idée de parité aurait-elle fait son chemin?
Pas sûr. Dans 67% des couples, l’homme continue de dominer financièrement. « Il y a toujours un fossé entre le discours et le passage à l’acte », observe le sociologue Jean-Claude Kaufmann. Beaucoup d’hommes supportent encore mal l’idée de gagner moins que leur femme, a fortiori d’en dépendre. « En usurpant un avantage financier, précise l’historien André Rauch, auteur de l’Identité masculine à l’ombre des femmes (Hachette), non seulement elle le prive de son rôle protecteur et l’affecte dans son identité masculine, mais elle le discrédite vis-à-vis de ses pairs. » Aux yeux de beaucoup, l’argent reste majoritairement associé au pouvoir, et le pouvoir, à l’homme. « Le discours commun confond sans cesse le phallus et le pénis, déplore le sociologue Serge Chaumier. De sorte qu’un homme dépassé par la condition de sa femme aura l’impression de perdre son identité masculine et ses compétences sexuelles. » C’est précisément ce qu’a ressenti Didier lorsque l’entreprise qu’il avait montée a été liquidée. « Pour lui, cet échec était une atteinte à sa virilité, raconte Martine, son épouse. Il se sentait humilié de me laisser subvenir aux besoins de nos enfants. » Nicolas, lui, a quitté son job de consultant pour créer sa PME. « Pour pouvoir développer son activité, il est obligé de réinvestir tout ce qu’il gagne dans la société, explique sa compagne Sophie, qui occupe un poste important dans l’administration. Personnellement, ça ne me pose aucun problème. Ce qui importe c’est que Nicolas s’épanouisse professionnellement. Mais mes parents s’imaginaient que j’allais épouser un polytechnicien ou un énarque… »
A les entendre, le problème vient toujours du regard des autres. Peu de ces couples différents acceptent de témoigner à visage découvert. Pourtant, les revenus ne sont pas le seul indicateur d’une réussite sociale ou personnelle. «Des gens brillants et très qualifiés peuvent gagner peu, parce qu’ils évoluent dans un secteur non rémunérateur», rappelle Nadine, cadre dirigeant d’une compagnie d’assurances. «Ce qui compte, ce n’est pas l’argent, mais comment on le gagne», renchérit Paul, informaticien. Paradoxalement, ce sont peut-être les femmes qui, dans ces nouveaux couples, attachent le plus d’importance à l’argent, gage de leur indépendance.
«La famille vaut plus que tout le reste»
Une enquête réalisée en 2002 par la Caisse d’épargne démontre que, pour elles, l’exercice d’un métier rime, dans 60% des cas, avec l’indépendance. Dans la loi, l’autonomie financière des femmes, il est vrai, est une conquête récente. «Les hommes élevés sur le modèle patriarcal vivent généralement moins bien le différentiel de salaire que ceux qui sont imprégnés du discours d’égalité des sexes, explique Serge Chaumier. Tout dépend surtout du contrat que le couple passe au départ.» Sur ce sujet, Mercedes Erra, présidente d’Euro-RSCG, peut savourer sa chance: son compagnon, Jean-Paul Valz, est entièrement acquis à la cause des femmes. «Jamais je n’ai regardé une femme de tête comme une bête curieuse. Pour moi, les femmes ont autant le droit de réussir que les hommes.» Jean-Paul ne se contente pas de beaux discours. En 1995, il a décidé d’arrêter de travailler pour s’occuper de la maison, de ses cinq fistons… Et de sa superwoman. «Je ne me suis pas sacrifié, tient-il à préciser. J’ai vraiment eu la vie que je voulais. Pour moi, la famille vaut plus que tout le reste.»
Un point de vue partagé par la grande majorité des Français. A une époque où les couples sont devenus moins pérennes, 72% des femmes et 63% des hommes continuent de considérer la famille comme une valeur centrale dans leur vie. On peut même d’autant plus l’investir qu’elle est plus «choisie» qu’autrefois. Les hommes qui décident de s’occuper de leur foyer constituent une espèce rare mais plutôt tendance. Paul est de ceux-là. Marié et père de trois enfants, cet informaticien de 37 ans dit avoir toujours accordé la priorité à son foyer. «Cela m’a contraint à quelques sacrifices, reconnaît-il. J’ai renoncé à terminer mes études, refusé plusieurs promotions, mais je ne le regrette pas. Si j’avais fait carrière comme ma femme, avocate au barreau des Hauts-de-Seine, j’aurais eu un salaire plus élevé, certes, mais j’aurais aussi été plus stressé et moins disponible. Là, à 16 h 30, je suis tranquille!» Façon de parler. Car, à peine rentré à la maison, Paul entame sa seconde journée. «S’occuper des tâches ménagères fait partie des choses de la vie, qu’on soit un homme ou une femme», affirme-t-il. Antoine souligne: «Quand on est étudiant, en colocation, on partage le ménage et la vaisselle. Pourquoi s’arrêter quand on est en couple?» On se le demande.
Entre Karine et Jean-Yves, les choses ont toujours été claires: «C’est mon argent contre son temps», résume madame. «Bien sûr, je ne lui laisse pas la charge de toute la logistique de la maison. La femme de ménage est là pour faire la vaisselle et astiquer les meubles. Mais Jean-Yves doit, au moins, assurer le soir auprès des enfants.» Même combat pour Jean-Paul, qui remplit à merveille son rôle de père. «J’ai comme un instinct maternel chevillé au corps, observe-t-il, amusé. Mon occupation favorite, c’est vraiment de m’occuper de mes enfants, de les dorloter, de les câliner.» Bien sûr, ce père au foyer a d’autres passe-temps: jardinage, lecture, télévision, sport… «L’important, c’est de pouvoir s’évader de temps en temps. Dommage que toutes les femmes dans mon cas ne puissent le faire.» Décidément, les hommes sont incorrigibles. Mettez-les au foyer, laissez mijoter: ils expliqueront bientôt aux femmes ce qu’elles ratent.