Médiation animale, massages, prêts divers… les bibliothèques universitaires se repensent comme des tiers-lieux de vie
Depuis la fermeture imposée des bibliothèques universitaires (BU) pour cause d’épidémie due au coronavirus, Virgile Régnier, 22 ans, étudiant en master « mondes médiévaux » à l’université de Lyon II, se sent un peu comme un naufragé. Reclus chez ses parents, en Ardèche, le jeune homme a accès au fonds documentaire en ligne de l’université, mais son cadre de travail habituel lui manque. « Les BU de Lyon sont pour moi de véritables lieux de vie », dit-il. « Avec l’écriture de mon mémoire, j’y passe près de six à sept heures par jour. J’y croise toujours des connaissances. Parfois, j’y donne même des rendez-vous.» Comme si ces bibliothèques étaient devenues sa deuxième maison.
Pour nombre d’étudiants, ces fermetures laissent un vide. Les BU ne sont pas de simples lieux de travail, de consultation ou de prêts d’ouvrages. «Les nouvelles générations n’ont plus le même rapport aux livres, et surtout n’ont plus forcément besoin de venir en bibliothèque pour accéder aux ressources documentaires, observe Frédéric Saby, coauteur en 2013 de L’Avenir des bibliothèques (Presses de l’Enssib). Le taux d’emprunt des documents imprimés s’est effondré. A la bibliothèque droit et lettres de Grenoble, il a été divisé par trois en vingt ans. » Les fonctions et les services offerts par les 539 BU de France, qui ont accueilli 69,5 millions de visiteurs en 2017, sont en profonde évolution. «Les étudiants cherchent dans ces lieux non plus seulement des espaces silencieux pour réviser, mais aussi « des lieux vivants qui soient de véritables objets “motivationnels”», constate Nathalie Clot, qui chapeaute les deux sites d’Angers. L’institution a aménagé dans ses murs une galerie d’art, propose des « tests de condition physique, des cours de sophrologie, des séances d’initiation à l’automassage» ainsi que des ateliers de médiation animale avec des chiens.
A la bibliothèque Saint-Serge d’Angers, un mercredi soir de mars avant le confinement, une quinzaine d’étudiants, assis en cercle sur des couvertures. Nova, une chienne Cavalier King Charles noire fait le tour de chacun,
comme pour dire bonjour. « Vas-y, donne-nous ton dos », lance une douce voix féminine à Heaven, l’un des deux Golden Retriever également invités en vedettes. Quatre mains caressent sa robe dorée. « Voir des chiens à la BU me fait vraiment du bien », assure Louise, étudiante en deuxième année de médecine, le visage barré par de grosses lunettes rondes. « Ça me change les idées, ça m’apaise. Je vais repartir en me disant : en fait, c’était une bonne journée. » « S’occuper d’un animal est une thérapie hors pair pour s’évader et se retrouver soi-même», confirme Myriam, avant d’ajouter: « Malheureusement quand on est étudiant, on a rarement la possibilité d’en accueillir un chez soi… Ces ateliers sont donc un bon palliatif. »
L’idée est née à la suite d’une blague de 1er avril. Une photo de lapin postée sur le compte Twitter de la BU, accompagnée du message suivant: «Bientôt un nouveau service @BUAngers au moment des examens: un temps de détente et de douceur en compagnie de nos lapins de lecture. » Devant les réactions enthousiastes des étudiants, Nathalie Clot a décidé de tester la formule avec des chiens, des chats et des rongeurs. « A la BU, on gère
régulièrement des crises d’angoisse. Les étudiants se mettent beaucoup la pression pour réussir. Certains, notamment parmi les étrangers, souffrent d’un profond sentiment de solitude. D’où l’importance de trouver de nouveaux moyens pour améliorer leur bien-être», estime-t-elle.
TIPIS, MATELAS, TAPIS
Depuis, la formule cartonne. Plus de 700 étudiants ont participé à l’opération depuis son lancement en novembre. On entend pourtant d’ici les critiques : est-ce bien là le rôle d’une BU ? « Oui, martèle Marc Martinez, président de l’Association des directeurs et personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation. Si les élèves se sentent bien dans leur lieu de vie, ils seront en meilleures conditions pour réussir leurs études. »
Ces dernières années, toutes les bibliothèques universitaires, en
France comme à l’étranger, rivalisent d’idées pour améliorer « l’expérience utilisateur ». Et cela passe d’abord par une reconfiguration complète de leurs espaces. « Pour répondre aux différents besoins des usagers, on se doit de proposer à la fois des zones silencieuses, des salles de travail en
groupe et des coins autres pour téléphoner, boire, manger ou même
dormir », énumère Frédéric Saby. En 2017, la bibliothèque santé de
l’université Jean-Monnet de Saint-Etienne a inauguré une salle de sieste de 40 m2 avec tipis, matelas et tapis colorés pour permettre à ses étudiants en médecine de se reposer. Une initiative, à l’époque inédite en France, qui a depuis fait des petits, à Rennes II, à Bichat à Paris, ou encore à Joseph-Fourier, dans la banlieue de Grenoble. Les offres proposées aux étudiants
et aux enseignants-chercheurs se sont étoffées. « Dans les
bibliothèques de l’université de Paris, on met désormais gratuitement
à disposition des ordinateurs portables, des casques antibruit, des clés USB, des antivols de vélo et même, sur deux de nos 22 sites, du matériel de production vidéo », se félicite Amélie Morin-Fontaine, chargée de communication à la direction des bibliothèques d’universités de Paris, qui mise aussi sur l’ouverture à d’autres services : « Pour faciliter la vie des étudiants et les toucher en plus grand nombre, le pôle d’orientation et de professionnalisation organise aussi des permanences dans nos murs. »
Développer des lieux hybrides, studieux et conviviaux, des tiers-lieux
inspirés des home like libraries, ces bibliothèques « comme à
la maison » répandues dans les pays anglosaxons et nordiques,
c’est le pari que commencent à faire les universités françaises. A l’image de Lille qui a inauguré, en septembre 2016, un learning center futuriste baptisé Lilliad. A l’intérieur: un café, un espace événementiel, un lieu expérimental valorisant la recherche à l’université et une bibliothèque de plus de 50 salles de travail. Montant du projet : 30 millions d’euros.
« Nos décideurs commencent à comprendre que les bibliothèques ne sont pas qu’une source de dépenses, mais aussi un vecteur d’attractivité et un partenaire de réussite pour nos étudiants », se félicite Yann Marchand, directeur adjoint du Service commun de la documentation de l’université de Lille. Mais les attentes des étudiants, elles, concernent plutôt les amplitudes horaires. « Si les BU pouvaient commencer par ouvrir le soir après 19 heures et le dimanche, ce serait déjà pas mal », note Guillaume Gebel, 21 ans, étudiant à Metz, qui remarque qu’en Allemagne, des bibliothèques sont ouvertes jusqu’à 23 heures tous les jours, dimanches compris.