Calme, coût de la vie, proximité avec la nature, espace… certaines agglomérations de moins de 100000 habitants semblent revenir en grâce auprès des Français, après des années de concentration autour des métropoles.
Un cadre de vie exceptionnel, entre verdure et patrimoine médiéval, avec toutes les commodités à portée de main. « Fougères – NDLR : au nord-est de l’Ille-et-Vilaine – offre tous les avantages de la ville sans les inconvénients », résume Mélanie, 39 ans. Cette bloggeuse et consultante en communication digitale y a posé ses valises début octobre, après douze ans de vie parisienne. « Ici, j’ai un logement deux fois plus grand, un jardin, et je paie deux fois moins de loyer que dans la capitale », se réjouit-t-elle. Bien sûr, l’offre de loisirs n’est pas comparable. Mais il y a quand même une médiathèque, un théâtre, un cinéma, un espace culturel… « Et si, une fois l’épidémie terminée, j’ai vraiment envie de voir un spectacle précis, j’aurai toujours la possibilité d’aller faire un saut à Rennes ou à Paris », souligne-t-elle. « Avec le bus et le TGV, c’est très facile de bouger. »
Responsable de mission dans un cabinet d’expertise comptable à Paris, Matthieu, 45 ans, vient, lui, d’emménager avec femme et enfant à Vichy, au cœur de l’Allier. « Une ville sûre, accueillante avec de la vie toute l’année», s’enthousiasme-t-il. « Nous avions l’habitude d’y passer nos vacances et nous nous y sommes toujours sentis bien. Dès que j’ai eu le feu vert de mon employeur pour télétravailler deux jours par semaine, nous avons sauté le pas. »
Avec la crise du covid-19 et l’essor du télétravail, 21% des Français et 31% des habitants des grandes villes songent, eux aussi, à déménager. C’est ce qui ressort d’une étude publiée le 25 novembre 2020 par le think-tank La Fabrique de la cité. Leur nouvel eldorado? Non plus sur Lyon, Bordeaux, ou Marseille mais plutôt Valence, Quimper, Orléans, Albi, Châlons-sur-Saône, ou encore Angoulême. Des agglomérations à taille humaine de 20000 à 100000 habitants que l’on regroupe sous l’étiquette de « villes moyennes ». « Le modèle d’hyperconcentration des hommes, des emplois et des richesses, qui entraîne une compétition permanente, une standardisation des modes de vie et une exclusion, est arrivé à bout de souffle », assure le maire de Neuilly-sur-Seine Jean-Christophe Fromantin, qui plaide depuis plusieurs années pour un rééquilibrage démographique. « Aujourd’hui, les gens veulent vivre dans des villes plus apaisées. »
Et cette aspiration ne concerne pas seulement les cadres sup’ et les familles. Selon le dernier Baromètre des Territoires 2020 de Villes de France, 63% des moins de 35 ans s’établiraient dans une ville moyenne s’ils avaient le choix.
Les villes moyennes, longtemps restées dans l’ombre des métropoles, tiendraient-elles enfin leur revanche ? Plusieurs signaux semblent en tout cas au vert.
Ce mardi matin de janvier, Nicolas Daragon, aux manettes de la mairie de Valence depuis 2014, déboule dans son bureau, au premier étage, un sourire jusqu’aux oreilles. D’après les résultats de la dernière enquête de recensement de la population de l’Insee qu’il tient en main comme un trophée, sa ville vient de dépasser la barre des 64 726 habitants, soit une augmentation de 4,8 % en cinq ans. « Du jamais vu depuis 1975 ! », sourit-il, satisfait. « On dirait bien que notre belle endormie s’est réveillée ! » Véronique Blanc n’en revient d’ailleurs toujours pas. En l’espace de quinze jours, cette agente immobilière indépendante, qui intervient sur le secteur Drôme-Ardèche, a finalisé deux jolis coups : une maison familiale avec piscine et terrain arboré à Beaumont-les-Valence pour 580000€ et une autre de 160m2 à Guilherand-Granges pour 420000€. L’épilogue d’une année 2020 ultra-dynamique dans le bassin valentinois. « Le confinement a décidé beaucoup de gens à changer de vie ou à acheter plus grand », s’enthousiasme-t-elle. « Les biens d’exception qui, d’ordinaire sont assez longs à vendre, sont partis pour certains en moins d’un mois. »
Surprenant ? Pas tant que ça. Les agglomérations de taille intermédiaire disposent de nombreux atouts dans leur jeu pour séduire : calme, coût de la vie accessible, proximité avec la nature, logements plus spacieux, offre de services publics fournie… « Aujourd’hui elles ne sont plus perçues comme des villes du « ni », c’est-à-dire n’ayant ni le charme du rural ni le dynamisme des grandes métropoles, mais comme des villes du « et », offrant à la fois une qualité de vie et un minimum de services », souligne Chloé Voisin-Bormuth, directrice des études et de la recherche à la Fabrique de la cité.
L’emploi, le nerf de la guerre
Mais entre le fantasme et le passage à l’acte, il y a souvent un pas. « Les mouvements de population restent avant tout dictés par l’activité économique et la présence d’emplois », rappelle l’économiste Nadine Levratto, directrice de recherches au CNRS. Les villes implantées sur un territoire dynamique partent donc avec un sacré avantage sur la ligne de départ. C’est le cas de Vitré, située à 35km de Rennes (Ille-et-Vilaine). Alors qu’avec la crise, le taux de chômage à l’échelle nationale a bondi à 8,8% au troisième trimestre 2020, il n’a pas dépassé les 5,3% dans le bassin vitréen. Le chiffre le plus faible de Bretagne et le quatrième plus bas des zones d’emploi de France métropolitaine.
L’agglomération de Valence affiche elle aussi une forme insolente. L’emploi industriel y a progressé de 6% depuis 2013 contre -0,1% pour l’ensemble de la région Auvergne-Rhône-Alpes, pourtant première région industrielle de France. Parmi les plus gros employeurs du coin, Saint-Jean, le leader français de la pâte fraîche, installé dans la Drôme depuis 1962. Sur son site de Romans-sur-Isère, un opérateur, pantalon bleu, marinière et charlotte sur la tête, pousse une balancelle chargée de meules de conté dans le hachoir automatique. 950 tonnes de pâtes et de quenelles sortent ainsi de l’usine chaque année. Et ce n’est qu’un début. Grâce à un projet d’agrandissement à 70 millions d’euros, l’entreprise prévoit de multiplier sa capacité de production par 2,6 d’ici 2023. A la clé : 150 recrutements.
Un écosystème porteur pour des jeunes pousses pleines d’avenir comme Smart Power. Dans son petit local niché au rendez-de-chaussée du Technosite de Valence, au cœur du pôle universitaire et technologique de Briffaut, une collection de maillots de football, de unes du journal L’Equipe et des photos de grands champions font office de décoration. C’est entre ces quatre murs que Stéphane Raymond, 47 ans, a mis au point son fameux Profiler. Le premier crampon sportif orientable au monde, qui a déjà été testé et validé par l’ex-international de rugby Mathieu Bastareaud ou la star du ballon rond Cristiano Ronaldo. « L’Ardèche est une terre d’inventeurs, la Drôme une terre d’entrepreneurs, c’est pour cela que j’ai choisi de m’installer ici », rappelle cet ancien salarié de Michelin qui nourrit de grandes ambitions. « Malgré l’arrêt quasi-total des compétitions sportives, on a réussi à faire progresser notre chiffre d’affaires de 20% en 2020 », se félicite-t-il. « L’objectif est d’atteindre les 7 millions d’euros d’ici 4 ans. »
Pas de fatalité
Evidemment tous les territoires ne connaissent pas un tel dynamisme. Le mouvement des gilets jaunes n’a pas manqué de le rappeler. « Après le choc pétrolier de 1973 et l’abandon de l’objectif d’égalisation des territoires par les pouvoirs publics, nombre de préfectures et sous-préfectures ont subi une dévitalisation accélérée », rappelle Achille Warnant, doctorant en géographie à l’École des hautes études en sciences sociales et auteur en 2020 de l’essai Les villes moyennes sont de retour (Fondation Jean-Jaurès). « Ajoutez à cela la désindustrialisation et le départ d’une foultitude de grandes entreprises dans le vaste monde, et vous comprendrez alors les difficultés économiques rencontrées par un certain nombre de villes, principalement dans le Grand-Est, les Hauts-de-France et la Bourgogne-Franche-Comté…», complète le géographe Philippe Estèbe, directeur d’études à la coopérative Acadie.
Pas question pour autant de se laisser aller à la fatalité. Une trajectoire peut toujours bifurquer. Prenez le cas de Charleville-Mézières, la préfecture des Ardennes. Entre 1975 et 2015, cet ancien bastion du textile et de la métallurgie, qui a vu les belles heures de la Fonderie des Ardennes, d’Arthur Martin et autres clouterie Lejay, a perdu plus de 12000 emplois, sous l’effet de la désindustrialisation. Mais grâce à la politique volontariste menée par l’intercommunalité, elle commence doucement à relever la tête. « Pour essayer de retenir nos jeunes, nous avons créé un campus d’enseignement supérieur au cœur de la cité », détaille le maire divers droite Boris Ravignon. « Nous nous appuyons aussi sur notre patrimoine et notre situation géographique, au carrefour de la France, de la Belgique et du Luxembourg, pour développer l’emploi dans le tourisme et les services. » De quoi s’offrir une nouvelle image… Et une nouvelle virginité. Comme pour souligner cette renaissance, le groupe de luxe Hermès, déjà présent dans la vallée de la Meuse, a prévu d’ouvrir un deuxième atelier de maroquinerie au nord de Charleville-Mézières, d’ici à la fin 2022.
Faut-il pour autant s’attendre à une profonde révolution territoriale ? Nadine Levratto en doute. « Oui, avec le développement du télétravail, certaines villes moyennes pourront sans doute ramasser une poignée d’actifs. » Surtout si elles s’emploient à développer des tiers-lieux et des espaces de coworking. De là à bousculer les équilibres entre Paris et Limoges et à transformer la France en pays multilocalisé comme l’Allemagne, il s’en faut de beaucoup. « Nombre de métiers, dans les services à la personne ou l’industrie, ne sont en effet pas télétravaillables. Et même parmi ceux qui le sont, toutes les tâches ne peuvent pas se faire à distance. » Si un exode urbain s’opère, ce sera donc sans doute d’abord à la faveur des villes moyennes situées à proximité des grands centres urbains, qui sont pour la plupart déjà attractives. Pour organiser un vrai rééquilibrage, le Plan Action Cœur de Ville, lancé fin 2017 pour redynamiser les centres des villes moyennes en mal d’attractivité, n’y suffira pas. Il faudra forcément en passer par plus de coopération. « Si l’Etat n’opère pas une péréquation des ressources, les villes moyennes en difficulté pourront se démener tant qu’elles veulent, elles n’auront jamais les moyens d’assurer leur renouveau », tranche Boris Ravignon. « Pour alimenter la croissance économique globale, on a voulu construire le Grand Paris et des métropoles d’équilibre, je ne suis pas contre. A condition que tous les territoires puissent en profiter. » Elodie Chermann