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Apprendre à produire des films plus « écolos »

Dans les écoles de cinéma, des étudiants réfléchissent à des solutions pour limiter l’impact carbone des tournages

Des bruits de visseuse et de marteau s’élèvent du fond du vaste entrepôt – une ancienne imprimerie de 300 m2 située à Bagnolet (Seine-Saint­-Denis). Dans l’entrée, un énorme fût en aluminium monte la garde. En jean et veste en cuir noir, Elina Kastler, étudiante à l’Ecole supérieure d’art de Tourcoing, s’aventure sans ciller dans ce bric-­à-­brac, entre les faux murs en béton, les blocs de fenêtres, les estrades et les gueuses de parpaings.
« Qu’est-­ce qui t’amène ? », lui lance une voix chaleureuse, cachée derrière une pile de rouleaux de moquette encore emballés. « Je travaille sur un projet de court-­métrage, et je recherche un mur extérieur pour créer un effet de vis­-à-­vis dans un appartement, répond la jeune femme de 24 ans. J’ai aussi besoin de feuilles de décor bleues pour reconstituer une salle de
bains dans le style années 1980. »
Ce n’est pas le choix qui manque à la Ressourcerie du cinéma, inaugurée en décembre 2020. « On a ouvert ce lieu pour que les décors
de films, souvent tout neufs, puissent trouver une seconde vie, plutôt que de partir à la benne, explique Jean-­Roch Bonnin, l’un des trois cofondateurs. Jusque dans les années 1980, tous les professionnels du cinéma avaient l’habitude de conserver et de réutiliser. Mais avec la chute du prix des matériaux et la hausse des prix de stockage, cette pratique s’est perdue. » Au prix d’un gâchis monumental.

Le constat est sans appel. En moyenne, un long­-métrage produit 15 tonnes de déchets de décor et de mobilier. Ajoutez-­y tous les déplacements des équipes de tournage, la restauration ou le streaming vidéo, et vous aurez une idée de l’impact que peut avoir un film sur l’environnement. Ainsi, d’après une étude publiée en novembre 2020 par le collectif Ecoprod avec le cabinet Workflowers, le secteur audiovisuel en France émet 1 705 560 tonnes équivalent CO2 en une année, soit environ 700 000 vols Paris-New York aller-­retour.

PRISE DE CONSCIENCE
La Conférence de Paris sur le climat et le succès du film Demain, de Cyril Dion et Mélanie Laurent, en 2015, ont toutefois provoqué une vraie prise de conscience dans ce secteur. « Bien sûr, vous trouverez toujours des gens prêts à prendre l’avion pour une journée de tournage en Australie… Mais les lignes bougent, constate Joanna Gallardo, responsable des relations institutionnelles à Film Paris Region, membre d’Ecoprod. Les professionnels commencent à se rendre compte que les ressources se raréfient et que si on ne les gère pas mieux, on n’y aura bientôt plus accès. »
Frédéric Aublé, producteur chez Les Tisserands, fait partie des convaincus. « Depuis 2015, on privilégie au maximum le train par rapport à l’avion, on bannit les gobelets et les sacs en plastique sur les tournages et on remplace
le plus possible les projecteurs HMI traditionnels par de l’éclairage à LED», énumère-t-il.
La nouvelle génération pousse à la roue. « Transmettre à l’écran
de beaux messages sur l’écologie, c’est bien, souligne l’étudiante Elina Kastler. Mais on doit désormais s’efforcer de faire vivre ces convictions dans la façon dont on produit les films. Trouver de nouvelles façons de faire pour limiter le gâchis et la pollution. »
Antoine Fouletier, étudiant en licence professionnelle « gestion de la production » à l’école des Gobelins, à Paris, estime aussi que l’audiovisuel doit prendre sa part de responsabilité dans ce domaine. « Le secteur est très lié aux nouvelles technologies, donc très énergivore. Il doit lui aussi se
mobiliser. Et pas dans dix ans. Il faut donc passer à la vitesse supérieure
dès maintenant. Personnellement, j’aurais du mal à travailler pour une entreprise qui se moque du développement durable – ou qui fait du business en détruisant la nature. »

TRI SÉLECTIF
Elina et Antoine sont loin d’être des exceptions dans le paysage. « Sur les plateaux, on voit de plus en plus de jeunes demander s’il y a un tri sélectif des déchets, ou si la cantine est végétarienne », constate
Joanna Gallardo, de Film Paris Région.
Ce mardi matin, c’est l’effervescence dans l’amphithéâtre de l’Ecole supérieure de l’image et du son (ESIS), nichée dans un fond de cour dans le 10e arrondissement de Paris. Pendant que Leila et Valérie, étudiantes en troisième année, disposent des brownies et des bouteilles de jus de fruits en verre sur la table de régie, Nicolas et Olivier scotchent des filtres sur
les spots pour adoucir la lumière. Jade, de son côté, est assise sur un
divan, devant une grande toile verte. « Quand vous voulez, ça
tourne », lance Laurent, le cadreur, la main posée sur le joystick de la
caméra. « On réalise une pub pour du thé », explique, en aparté, Mathieu
Saminadin, 20 ans, qui s’essaie au rôle de réalisateur. Avec une exigence : limiter le plus possible l’impact environnemental du tournage. « Pour limiter le budget et l’empreinte carbone, on a imaginé un
scénario dans lequel le personnage voyage aux Seychelles rien qu’en buvant du thé », lance-t-il. Le fond vert leur permet d’incruster des décors extérieurs sans avoir à se déplacer. « Pour éviter la gabegie de papier, tous
les documents de travail sont diffusés en format numérique, sur tablette », ajoute-t-il. « Je suis contente que les questions environnementales se posent de plus en plus dans notre secteur, car dans ma vie personnelle, elles irriguent mon quotidien. Si j’ai à produire un film à l’avenir, c’est sûr,
j’intégrerai ce critère dans mon cahier des charges », confie Valérie,
étudiante dans cette école, par ailleurs végétarienne.
Pour accompagner les étudiants dans la conception d’« écotournages», de plus en plus d’établissements – l’Ecole de la cité du cinéma, 3iS, l’INA Sup, l’ESRA – font appel au collectif Ecoprod pour assurer des formations à ces questions. Valentine Marou est l’une des animatrices de ces modules
proposés aux étudiants. « On ouvre à chaque fois la session en rappelant aux étudiants l’impact du secteur de l’audiovisuel sur l’environnement. Puis on leur donne des exemples concrets d’actions à mettre en place, de la préproduction jusqu’à la postproduction en passant par le tournage. »
Le collectif met gratuitement ses outils à leur disposition : un calculateur carbone Carbon’Clap, des fiches pratiques par métier, une liste de prestataires écoresponsables et adhérents de la charte Ecoprod… Un guide de l’écoproduction recense toutes les initiatives possibles : choix du type d’ampoules moins énergivore et type de branchement utilisé,
optimisation de la régie pour limiter les trajets, recyclage de certains objets ou accessoires, organisation de repas avec moins de vaisselle jetable… «On évoque aussi les innovations technologiques, comme ces groupes électrogènes fonctionnant à l’huile de friture plutôt qu’à l’essence. Ou ces systèmes de récupération de chaleur de serveurs, développés par Qarnot Computing, pour chauffer des bâtiments », détaille Valentine Marou.
Mais pour beaucoup d’étudiants, le compte est encore loin d’y être. « Je suis frustrée de n’avoir eu que trois heures de formation sur ces sujets », confie Sara Rimbault, 22 ans, inscrite en licence pro « gestion de la production » à l’école des Gobelins. « Le développement durable est un sujet prépondérant. Et pourtant, il est encore bien loin d’irriguer tous nos
cours. »
Nathalie Coste-Cerdan, la directrice de la Fémis, à Paris, sait qu’il
faudra aller plus loin. « La nouvelle génération a envie de produire des films qui ont du sens, constate-t-elle. Elle le montre dans les sujets de mémoire qu’elle nous propose. D’ailleurs, leurs travaux nourrissent notre réflexion pédagogique et nous poussent à prendre le taureau
par les cornes. »
Il y a trois ans, son établissement a mis en place des sessions de sensibilisation aux enjeux écologiques, à destination de ses étudiants
spécialisés en production. L’objectif, désormais, est de les
étendre à l’ensemble des filières. Signe d’un changement, la Fémis
vient de signer un partenariat avec la Ressourcerie du cinéma pour le réemploi de ses décors. In fine, l’impact de toutes ces initiatives, assez nouvelles, est encore limité. « Faire des films de manière écologique demande du temps, notamment en termes de préparation, souligne Colin
Destombes, jeune diplômé de la Fémis en 2019. Mais le cinéma est un milieu très concurrentiel où les marges de manœuvre en termes de délais et de budget s’avèrent de plus en plus serrées. Même en étant très motivé, on est obligé à un moment donné de réduire ses ambitions écologiques. »
La véritable « révolution verte » dans l’audiovisuel nécessiterait un changement complet du modèle. En attendant, certains comptent
bien trouver des moyens de limiter la casse.