Meetings annulés, réunions en effectifs restreints… Épidémie de Covid-19 oblige, la campagne pour l’élection présidentielle 2022 se joue d’abord sur le petit écran qui se veut, plus que jamais, citoyen.
Plouf, plouf, ce sera toi que je choi-si-rai. À deux mois du premier tour de la présidentielle, la plus grande indécision règne encore chez les électeurs. «Je l’ai constaté en allant à leur rencontre en Corrèze, en janvier, pour le premier numéro de notre nouvelle émission La France dans les yeux avec comme invitée Valérie Pécresse : la majorité des Français attendent les débats à la télé pour se décider », affirme Marc-Olivier Fogiel, le directeur de BFMTV.
Alors que la pandémie s’éternise, que les meetings sont comptés, la télévision va-t-elle retrouver une place centrale dans la course à l’Élysée ? «Le petit écran a toujours accompagné les grands moments de la vie politique française », rappelle l’historienne et sociologue des médias Isabelle Veyrat-Masson, directrice de recherche au CNRS. On se souvient du tour de force télévisuel qu’avait dû accomplir le général de Gaulle en 1965 pour l’emporter, après avoir refusé, dans un premier temps, de faire
campagne sur le petit écran à l’aube du premier tour. « Une élection présidentielle, c’est la rencontre d’un homme ou d’une femme avec un peuple », rappelle Adrien Gindre, en charge du service politique de TF1 et LCI. « Aucun candidat ne peut se permettre de ne s’adresser qu’à ses sympathisants. Pour espérer sortir vainqueur, il doit convaincre des électeurs qui ne sont pas acquis à sa cause. » Or quel meilleur moyen que la télévision pour s’adresser à des millions de téléspectateurs de sensibilités différentes ? « À l’heure du développement des réseaux sociaux, on l’a pourtant cru dépassée, enterrée », ironise Philippe Riutort, chercheur associé au laboratoire « communication et politique » du CNRS. « Pourtant, elle demeure le principal moyen d’information dans l’Hexagone. » Pas étonnant qu’en cette année électorale, les Français nourrissent de fortes attentes à son égard. D’après le baromètre La Croix/ Kantar Public Onepoint publié le 20 janvier dernier, 87 % d’entre eux appellent les médias en général et la télévision en particulier à accorder une place suffisante aux prétendants au pouvoir pour détailler leurs programmes. «Pour le moment, on peine à dégager une, deux ou trois propositions fortes pour chaque candidat », constate Philippe Riutort. « Les électeurs attendent donc des émissions de débat et d’analyse pour éplucher les différentes propositions. » Dans un climat de défiance généralisée envers
le monde politique, ils comptent aussi sur les médias pour les aider à faire le tri entre les bonnes et les fausses informations et leur garantir des débats apaisés. « Plus on va s’approcher du vote, plus les téléspectateurs vont vouloir s’informer et consommer de la politique », souligne le chercheur.
Les chaînes de télévision se mettent donc en ordre de bataille pour répondre au mieux à leurs attentes. C’est notamment le cas sur le service public qui entend proposer « des émissions sérieuses mais pas embêtantes», à l’image d’Élysée 2022 sur France 2. « Aujourd’hui, les Français sont un peu désabusés par rapport à l’offre politique », regrette Michel Dumoret,
directeur des rédactions nationales de France Télévisions. « Ils ne se sentent pas complètement représentés. » D’où l’idée d’inviter davantage de citoyens sur les plateaux pour leur (re)donner le désir de s’intéresser à la politique. Public Sénat, diffusée sur le canal 13 de la TNT, a décidé de son côté de miser sur les documentaires et les programmes d’analyse. Parmi eux, Et maintenant 2022, une case hebdomadaire qui décrypte en plateau les déclarations et propositions marquantes du moment, mais aussi Sens public qui, une fois par semaine, propose un débat sur une thématique clé, comme l’énergie ou la fin de vie. « Une campagne présidentielle est un moment démocratique extrêmement important, rappelle son PDG Christopher Baldelli. Notre rôle, en tant que chaîne publique et civique, consiste à éclairer les citoyens pour leur permettre de se faire une religion.»
Alors que le risque d’abstention semble au plus haut, les chaînes privées se sentent, elles aussi, investies d’une responsabilité politique et sociale. «Avec l’apparition d’Internet et des réseaux sociaux, elles sont soucieuses de rendre service à leur public », souligne Isabelle Veyrat-Masson. Depuis
plusieurs semaines, TF1 multiplie les rendez-vous politiques, du feuilleton
du dimanche soir, Partie de campagne, à la série Route nationale, diffusée le vendredi dans le 20 heures. Parfois accusée de courir après la petite phrase, BFMTV valorise son savoir-faire journalistique à travers des émissions comme Face à BFM, où un invité répond aux questions des experts de la chaîne.
La télé a pourtant encore des progrès à accomplir. « À deux mois du scrutin, les chaînes ne sont pas tout à fait à la hauteur des enjeux », lance David Medioni, directeur de l’Observatoire des médias à la Fondation Jean-Jaurès. « Les formats qu’elles proposent ressemblent encore trop à ceux que l’on peut voir tout au long de l’année et ne traitent pas suffisamment des grands sujets de fond qui préoccupent les Français : le
pouvoir d’achat, le logement, la crise écologique. » En témoignent les émissions de pur divertissement comme Face à Baba, sur C8. « Cyril Hanouna profite de la disparition des Guignols de l’Info sur Canal+ pour se positionner sur le créneau de “l’infotainment”, prenant le risque des raccourcis et de faire le jeu des extrêmes », souligne Isabelle Veyrat-Masson.
Et si, à l’aube de l’échéance électorale, la télé se donnait davantage encore
les moyens de ses ambitions ? Alors que tous les candidats ne se sont pas encore déclarés, les Français, isolés par la pandémie, rivés au petit écran, ont soif de programmes de qualité qui enrichissent le débat politique.